"Quiconque trouve du plaisir à marcher en rangs serrés au son de la musique est pour moi d'emblée, un objet de mépris; il n'a reçu son cerveau que par mégarde puisque la moelle épinière lui aurait amplement suffi.
Cette honte de la civilisation devrait être supprimée aussi vite que possible. Héroisme sur commande, violence insensée, chauvinisme pénible, comme je les hais ardemment, comme la guerre me paraît basse et méprisable; je préfèrerais me laisser couper en morceaux que de participer à des agissements aussi misérables." 

Albert Einstein




Où allons-nous?

Edouard Mangonès
edmangones@comcast.net
11 Janvier 2004


LAUDERHILL, Florida - L'histoire se répète-t-elle? Un exemple classique d'un fou furieux, c'est quelqu'un qui fait constamment la même chose, s'attend à des résultats différents et s'étonne de ne pas les avoir. Sommes-nous en train de perpétuer la folie haïtienne ?

Aujourd'hui, c'est le tour de Jean-Bertrand Aristide de faire face au jugement national pour crimes contre la nation. Il n'y a aucun doute qu'Aristide mérite cette place à l'échafaud politique. Et pourquoi cet honneur? Aristide est, tout d'abord, un incompétent. Ensuite, il viole les droits des citoyens, c'est un populiste démagogue et un mégalomane aigri. Il est un chef de gang mafieux et vraisemblablement le padrino des trafiquants de drogue qui opèrent avec impunité en Haïti. Il s'enrichit aux dépens du peuple et sa priorité est de se maintenir au pouvoir à tout prix. Il a trompé et trahi le peuple. Il contrôle une police corrompue et violente doublée de chimès assassins recrutés de la masse des lumpens à travers le pays, qui répondent aux ordres du baron pour attaquer, brûler, violer, assassiner sur commande. Aristide est le mal incarné. Mais, est-il la seule source de nos maux? Et après lui? Ou allons-nous?

Les participants aux manifestations massives qui se déroulent à travers la nation haïtienne sont unis dans leur opposition à Lavalas et son chef Aristide et par leur désir de s'en débarrasser. Mais quoi d'autre est-ce que les étudiants, les intellectuels, les partis politiques, les féministes, les paysans, les commerçants et industriels, la presse, la société civile et les simples citoyens ont-ils en commun? Et existe-t-il un objectif commun? Ou allons-nous ?

Les groupes armés de Gonaives représentent un autre aspect de l'opposition à Aristide. Ce ne sont que des zenglendo, ex-chimès qui considèrent l'assassinat d'Amiot Métayer comme un abandon et une trahison d'Aristide. Ils sont déçus d'avoir perdu leur pouvoir-sur-le-béton jadis octroyé par le Chimè-en-Chef Titide, et veulent se venger du meurtre de Métayer.

Les étudiants universitaires, unis dans leur répugnance contre l'attaque sur l'Inaguei, munis de leur enthousiasme et de leur fougue idéologique font preuve d'un courage exceptionnel face à la violence à laquelle ils ont été soumis et continuent à confronter de jour en jour. Ils sont appelés à jouer un rôle important dans l'avenir de notre pays. En fait, l'avenir, c'est eux.

La Plate-forme Démocratique, coalition-sur-le-terrain, comprend bon nombre de partis et personnalités politiques qui s'offrent à la nation comme alternative saine au règne de Lavalas.

Le Groupe des 184, représentant - pour le moment - la société civile, a saisi le taureau par les cornes et, à travers son porte-parole Andy Apaid, Jr., a pris une position de leadership dans la lutte pour forcer la démission de Jean Bertrand Aristide de la présidence. Ce groupe a présenté à la nation une proposition de contrat social qui fait état des grandes lignes sur lesquelles les différents secteurs du pays devraient se pencher pour arriver à des solutions collectives.

Leur Caravane de l'Espoir qui, l'année dernière a envoyé des délégations à travers le pays pour des réunions plus ou moins symboliques avec des membres du leadership de ces localités, a fait preuve de très bonnes intentions. La liste des organisations faisant partie de 184 est impressionnante et va certainement dans la bonne direction. Mais il semblerait que l'excellente préparation de 184 qui promettait finalement de représenter l'avant-garde d'un mouvement de dialogue et d'inclusion nationale sans distinction de couche sociale, ait souffert d'une maladie de détermination ou tout au moins d'une carence d'énergie. Bien que la proposition de contrat social reflète une position qui se voudrait démocratique et inclusive, elle ne demeure malheureusement qu'une proposition. " La mise en oeuvre de cette quête du vouloir vivre ensemble " promise par 184 n'a pas été réalisée. Ce n'est pas étonnant, considérant que 184 est très occupé ces jours-ci à organiser les manifestations quasi journalières destinées à forcer la démission d'Aristide.

Ces manifestations et grèves sont des actes courageux, mais il n'est pas évident que la stratégie de l'opposition aboutira à la chute d'Aristide. Premièrement, Aristide bénéficie d'une position constitutionnelle et il semble que l'opposition a opté de rester strictement dans la constitutionalité. La formule de transition proposée par 184 suggérant de choisir comme remplaçant d'Aristide un juge de cassation indique le caractère constitutionnel de sa stratégie. Jouant donc le jeu de la constitutionalité, Aristide envoie sa police "mettre de l'ordre " dans les rues, fait escorter les manifestants, " protège " ces manifestants contre ceux qui les attaquent, proclame être la victime d'un complot de déstabilisation mené par les bourgeois et s'enfonce confortablement dans son fauteuil présidentiel. Il n'a pas du tout l'air de vouloir démissionner. Sur le plan politique, si les Américains, les Français, les Canadiens ou même l'OEA décideraient d'appliquer une forte pression sur Aristide, il accepterait peut-être de prendre l'exil, mais là encore, ce n'est pas évident. L'opposition pourrait adopter le chemin politique ou révolutionnaire, prendre les armes et mener une lutte armée contre Lavalas, mais ce genre d'opposition n'existe pas pour le moment. Et même si on y parviendrait, un renversement armé serait considéré comme un coup d'état même s'il était de nature révolutionnaire.

Que va-t-il donc se passer? Si l'opposition tient le coup, si les manifestants ont l'estomac pour ramasser les morts qui s'accumuleront par la violence des chimès et de la police contre les manifs, le reportage de la presse traditionnelle internationale commencera finalement à faire état des crimes et des abus perpétrés par ce gouvernement décrété hors-la-loi par l'opposition. La presse et l'opinion publique américaines arriveront peut-être à influencer George W. Bush à prendre une position contre Aristide, ce qui ne serait pas tout à fait une mauvaise idée pour lui, à la veille de sa campagne de réélection, vu qu'Aristide est aujourd'hui à son poste, grâce au Démocrate Bill Clinton. Serait-ce la stratégie de la coalition actuelle? Contester Aristide dans les rues, se faire attaquer par des chimès et la CIMO, souffrir des pertes de vie et attendre que la violence de Lavalas soit si dramatique qu'elle nous vaudrait la pitié de l'oncle Sam qui, une fois de plus, viendrait à notre secours ?

N'avons-nous rien appris ? Pensons-nous que les Etats Unis - ou n'importe quel autre pays - ont la moindre intention de nous aider à résoudre nos problèmes ? Chaque pays est préoccupé par ses propres problèmes et leurs actions politiques ou commerciales sont dirigées vers leurs propres besoins. C'est à nous, haïtiens de nous sortir de notre gouffre par nos propres moyens.

Qu'est-ce que nos partis politiques ont fait pour mériter le nom de partis politiques ? Des articles circulent à travers l'Internet critiquant le plan de
transition proposé par 184 et offrant comme alternative la nomination de Leslie Manigat comme Président provisoire. Pourquoi nous acharnons-nous à apporter notre support à un homme, une personnalité ? Le culte de la personnalité ne représente qu'un paternalisme malsain qui n'a jamais servi à quiconque autre que les personnalités dirigeantes elles-mêmes. Ces plans de transition politique ne s'adressent qu'à une question tactique et ignorent les questions stratégiques qui devraient être présentées comme plate-forme politique. Quels efforts ont été faits par RDNP et les autres partis et personnalités politiques pour organiser le Peuple sur une échelle nationale ?

Des leaders tels que Manigat, Evans Paul, Andy Apaid, De Ronceray... ont certainement de la valeur. Mais leur vraie valeur sera mesurée par leur capacité de mener, organiser, de motiver, de gérer, dans leur conviction morale, dans leur éthique, leur honnêteté, et surtout dans leur amour pour leurs concitoyens et concitoyennes de toutes les classes en commençant par les plus démunis !

Il n'est pas complètement inconcevable que les circonstances conspirent à pousser à la démission de Jean-Bertrand Aristide. Dans un cas pareil, que nous offre-t-on comme alternative? Pas grand chose, il semble! On parle de transition politique, on parle d'un contrat social, on parle de sécurité. On parle de toutes sortes de projets mais personne, PERSONNE n'a encore présenté une plate-forme politique et un plan de développement intégré qui répondrait aux besoins de la nation.

C'est aussi possible qu'Aristide arrive à tenir le coup jusqu'à la fin de son mandat. Dans un cas pareil, les partis politiques et autres leaders doivent se servir de cette période qui représente une opportunité sans pareil pour faire le travail d'organisation nationale qui devrait déjà être en cours. Les leaders doivent communier avec le peuple. Ils doivent communiquer, consulter, éduquer, apprendre, mener, planifier; ils doivent sentir la condition du paysan, ils doivent la vivre et la comprendre avant d'oser s'octroyer le droit de s'offrir comme leaders capables de résoudre les problèmes de la population. Ceci n'implique pas que les paysans sont les seuls citoyens qui méritent l'attention des leaders. Les populations urbaines, les travailleurs d'industrie de transformation, la classe moyenne, les étudiants, les artistes, les intellectuels, les industriels, les commerçants, les Haïtiens de tous les secteurs contribuent à la marche - ou absence de marche - du pays, et leur bien être collectif est l'objectif d'une politique nationale saine.

La démocratie implique le plus grand bien pour le plus grand nombre. Elle préconise la participation de tous les citoyens. Elle inclue des idéologies divergentes et encourage la libre expression et l'opposition. Elle requiert le dialogue, les compromis. Elle accorde les droits et exige la responsabilité. Elle protège les droits de tous les citoyens et applique la loi fermement, sans parti pris, sans favoritisme. Elle ne tolère aucune forme d'anarchie. La démocratie n'est pas un système américain ou français. Le " one man, one vote " n'est qu'un aspect de l'application de la démocratie occidentale. Les communistes se disent démocrates. La démocratie ne demande pas qu'un peuple soit sophistiqué ou hautement instruit. Ce qu'exige la démocratie, c'est la participation de tous au profit de tous. Le gouvernement est formé par le peuple, pour le peuple. La gérance gouvernementale doit également être - exclusivement - au service du peuple. L'application de la démocratie en Haïti
offrira une opportunité sans pareille de coopérer, de communiquer, d'inspirer, d'apprendre, d'instruire, d'instaurer la responsabilité individuelle et collective.

Elle servira de moteur au développement La démocratie haïtienne doit être basée sur les réalités haïtiennes et y apporter des solutions bénéfiques.

Il est louable de proposer des idées et des grandes lignes à être débattues démocratiquement comme le fait 184 dans sa proposition de contrat social, mais quand tout le monde attend qu'un consensus miraculeux sorte d'une rencontre fabuleuse d'idées émises par les factions divergentes de notre chère nation, nous nous retrouvons dans une super-démocratie libérale à l'attente de la manne du ciel. Il incombe aux leaders de mener. Il incombe aux leaders d'étaler leur plate-forme et leur plan d'action, quitte à le soumettre à une approbation générale. Il incombe aux leaders d'être en mesure de gérer le bien public et d'en faire état au préalable. Il incombe donc aux leaders de dévoiler leur plan et de nous expliquer où nous allons !

En tant que citoyen haïtien, pour l'instant de la diaspora, et au nom du peuple haïtien, je fais appel urgent à toutes les organisations de l'opposition et particulièrement aux leaders, de se mettre au travail immédiatement pour élaborer un plan national pour nous expliquer comment nous allons finalement sortir de notre sort jusqu'ici permanent de pauvreté, de sous-développement, de malnutrition, de faim, de mortalité prématurée, de chômage, d'érosion, de manque d'irrigation et d'eau potable, de déboisement, d'analphabétisme, du manque de professeurs qualifiés, de brutalité, d'abus de pouvoir, de racisme, d'élitisme, de sexisme, de manque d'hygiène, d'absence de soins médicaux, de manque de routes et d'électricité, de bidonvilles urbains, etcetera.

J'exhorte mes concitoyens et concitoyennes à exiger de nos leaders qu'ils nous présentent leur plate-forme politique et leur plan de développement.

Le PLAN de développement national doit comprendre un inventaire complet de notre condition, l'analyse de notre réalité, la création d'un plan d'infrastructure, l'interconnexion des projets, l'établissement de priorités, l'évaluation de toutes nos ressources - naturelles aussi bien qu'humaines - en incluant la diaspora, un plan d'exécution, un delai fixé, et un budget. Comment financer notre développement devra être l'objet de délibérations après avoir établi le budget. Avec une volonté inébranlable, nous arriverons à accomplir tout ce que nous nous proposons.

L'élaboration du plan doit inclure la participation active de la classe paysanne et ouvrière. Les étudiants universitaires pourraient faire partie des recherchistes et statisticiens qui font l'inventaire national.

Il est évident que ce plan ne peut pas exister dans l'absence d'une plate-forme politique qui répond aux nécessites nationales. Nous devons établir certains principes de base qui répondent à nos besoins collectifs. Pour citer un exemple, notre gouvernement doit prendre les mesures nécessaires pour aider et protéger notre production nationale agricole, artisanale et industrielle - oui industrielle aussi, car nous pouvons et nous devons nous industrialiser, pas à pas. Notre gouvernement doit, en somme, adopter une philosophie et une gérance politique qui met l'accent du développement de la nation haïtienne, de la base au sommet, et non du sommet a la base tel que nous l'avons toujours fait.

Les partis politiques feraient bien de réagir à l'appel de la population. Les partis politiques feraient bien d'aller au-delà de la proposition du contrat social du groupe de 184, aussi noble qu'elle soit, et de se mettre au travail immédiatement pour l'élaboration et la présentation au peuple haïtien de leur plate-forme politique et de leur plan détaille pour le développement intégré d'Haïti.

Nous ne voulons pas d'Aristide, mais nous tenons à savoir où nous allons !





Photo Haïti 2004



A propos de la commémoration du bicentenaire de l'indépendance de Haïti.

1 - C'est comme ça !

Peu de gens savaient que Haïti était indépendant depuis deux cents ans. Encore moins de gens étaient au courant qu'en 1804 , une population d'esclaves dans cette île des Caraïbes avait lutté et vaincu une armée impressionnante en nombre et en technique, l'armée la plus redoutable de l'époque, celle de Bonaparte.

Tout le monde ignorait que faisant d'une pierre deux coups, les fondateurs de la première république noire avaient rebaptisé leur pays d'un nom indien, "Haïti" qui signifie terre montagneuse. D'une part pour marquer la rupture avec la société esclavagiste de Saint Domingue. D'autre part pour honorer le souvenir des premiers habitants Arawaks et Taïnos totalement décimés par les colons. De nos jours on dirait massacrés par les génocidaires

Seuls les Haïtiens, quelques aficionados de l'île et quelques panafricanistes rêveurs connaissaient cette page d'histoire et pouvaient en être légitimement fiers.

On pouvait penser que les Haïtiens, toutes tendances politiques confondues, se saisiraient de la commémoration du bicentenaire de leur indépendance chèrement gagnée en or et en vies humaines pour informer et faire partager au plus grand nombre la signification de ce 1er janvier 1804.

On aurait compris qu'ils usent à cette occasion, de tous les moyens d'information, de toutes les tribunes pour parler de cette révolution, pour en analyser les contradictions, en démystifier certains aspects, en éclaircir d'autres de manière à tracer des pistes de réflexion pour sortir le pays de la grave crise dans laquelle il est plongé.

D'autant plus que si la révolution a renversé l'ordre esclavagiste, les combattants et leurs descendants n'ont pas su par la suite instaurer une société juste. Donc, criez "A bas Aristide", c'est très bien … comme des années auparavant : "A bas Boyer, A bas Lescot, A bas Magloire, etc …". Mais après ?

2 - Quelle idée !!

Au contraire, ils ont choisi de rejoindre le camp majoritaire de ceux qui ignorent, passent sous silence ou dénient toute importance à un événement qui menaçait en Europe et sur tout le territoire américain les richesses accumulées grâce à l'institution de l'esclavage et risquait de remettre en question l'équilibre du monde du XVIIIème siècle.

Nos héros des temps modernes se sont rangés avec une belle unanimité du côté de ceux qu'on appellerait de nos jours les négationnistes. Non pas à partir d'une stratégie réfléchie mais conduits par une sorte de comportement atavique de bouffon, d'ivresse carnavalesque.

"Il jouait cette caricature comme il arrive souvent aux étrangers de mimer les clichés touristiques de leur pays d'origine. Pour ne pas décevoir la galerie." Cette phrase tirée d'un roman de l'écrivain russe Andreï Makine illustre cette manière d'être cabotine, racoleuse, presque putassière de l'élite haïtienne.

Un tel trouve le moment particulièrement approprié pour demander sur les ondes une intervention des Américains. L'autre la joue à l'homme d'affaires vénézuélien qui ne veut que le bien de son pays, (bien qu'au demeurant Chavez soit toujours au pouvoir). Cet autre là braille que jamais la répression n'a été aussi forte en Haïti alors qu'il n'aurait même pas pu bredouiller la moindre syllabe de mécontentement à l'époque des Tontons Macoutes. Un autre encore s'empresse de publier une théorie délirante sur le sang, "la limpieza del sangre", les Tutsi et les Hutu, le nettoyage ethnique, un truc d'actualité et qui évidemment fait résonance.

Amalgames, fausses vérités, rumeurs, affabulations et autres macaqueries dans tous les camps entretiennent une relation infantile et manichéenne à la réalité. Le vocabulaire utilisé dans le champ politique : "Les papas doc, la famille lavalass, les enfants, le bien et le mal, le diable et le bon dieu, les chimères, les tontons macoutes, l'armée cannibale" caractérise ce désir de "ne pas décevoir la galerie" c'est à dire de se conformer à l'image que l'étranger affectionne d'Haïti.

3 - C'est Fanon qui l'a dit !

Que dire de l'image dégradante du roi Christophe - qui avant d'être roi fut un des héros de la guerre d'indépendance - dans un film intitulé Royal Bonbon. Le titre à lui seul en dit long sur le point de vue de l'auteur qui non seulement obtient l'autorisation de filmer cette monstruosité à l'intérieur même du monument historique mais encore se transforme en "héros" de l'élite haïtienne qui brame partout qu'il a tout compris de sa culture bien mieux que les Haïtiens eux-mêmes.

"Yes indeed", il a tout compris de la structure mentale de "ces gens là" de l'impuissance des pauvres et de l'idiotie des élites.

Qui s'étonnerait un beau matin de voir - à l'image de ce lieutenant américain devenu le roi de la Gonâve - le petit cinéaste blanc remplacer le petit curé noir à la tête de l'état avec la bénédiction de l'élite enfin déculpabilisée, pardonnée du meurtre du père ?

Ainsi font, font, font les petites marionnettes ... trois petits tours et puis s'en vont.

Louise Gilles.

 





Entretien avec MICHÈLE MONTAS.

Le 1er janvier 2004, Haïti va célébrer le bicentenaire de son indépendance dans un climat extrêmement tendu. Le président Jean-Bertrand Aristide est de plus en plus contesté et les violences se multiplient Des bandes armées proches du gouvernement empêchent systématiquement tout rassemblement de l'opposition. Michèle Montas, directrice de Radio Haïti Inter, est engagée dans la lutte contre l'impunité depuis l'assassinat de son mari, le journaliste Jean Dominique, le 3 avril 2000. Victime à son tour d'une tentative d'assassinat, elle a dû "éteindre" la station puis quitter le pays en mars dernier. Elle vient de recevoir le prix Reporters sans frontières - Fondation de France 2003. (17 décembre 2003).

Anne PROENZA : La république d'Haïti fête le bicentenaire de son indépendance ...

Michèle MONTAS : Il y a deux cents ans, Haïti connut la première révolte d'esclaves du monde moderne, et elle mit en déroute les troupes de Napoléon. C'est important pour Haïti et aussi pour la France ! On n'en parle pas beaucoup dans les livres d'histoire en France... Ce sont deux cents ans de solitude et d'incompréhension, de satrapies, de gouvernements militaires et de trop rares gouvernements civils. Notre histoire est faite de renversements. Peut-être est-ce le prix de cette indépendance gagnée avec les armes. Mais ce sont aussi deux cents ans de résistance. Nous avons été isolés des dizaines et des dizaines d'années, repliés sur nous-mêmes, et le peuple haïtien a survécu.

A.P. : Que se passe-t-il en Haïti aujourd'hui ?

M.M. : Toutes les voix contestataires sont menacées, intimidées. Et ce n'est pas un épiphénomène. Quand Jean-Bertrand Aristide est revenu en Haïti, en 1994 [élu en 1990, il avait été renversé par un coup d'Etat militaire le 30 septembre 1991 et ramené trois ans plus tard sur intervention américaine], il a promis la justice, la participation, la transparence. Aucun de ces trois thèmes n'a été développé. Le pouvoir a préféré des alliances tactiques et a choisi d'éliminer les voix indépendantes et contradictoires afin de ne garder que ceux qui font allégeance totale. Depuis deux ans, le gouvernement ne cherche plus que sa simple survie politique. Chaque fois qu'il y a une manifestation ou une contestation organisée, des groupes armés sont lancés. Or tout le monde sait qu'ils sont à la solde de gens puissants partisans du gouvernement. La principale revendication des Haïtiens depuis la chute des Duvalier n'a pas été exaucée : ils réclamaient la justice, car il ne peut y avoir de réconciliation sans justice.

A.P. : Quel est le rôle de la communauté internationale ?

M.M. : Les instances internationales ont fait un effort à court terme pour aider Haïti, mais les infrastructures, les institutions démocratiques n'ont pas été renforcées comme elles auraient dû l'être. Et le système est resté corrompu, même si quelques juges ont été formés ici ou là. Ensuite, la communauté internationale s'est fatiguée. Or la construction d'une nation ne se fait pas du jour au lendemain, ni grâce à un seul homme, que ce soit en Haïti ou en Afghanistan... Et sans structure on ne peut rien faire. Depuis les élections de 2000 [considérées comme frauduleuses], la communauté internationale - les Etats-Unis, la France, l'Union européenne, l'Organisation des Etats d'Amérique - a suspendu son aide ou décidé de ne la faire passer que par les ONG. Même les prêts de la Banque interaméricaine de développement ont été bloqués. Cette réaction de la communauté internationale est disproportionnée et a exacerbé les problèmes internes. Elle l'a fait pour faire fléchir Aristide, mais le prix payé par le peuple haïtien est trop lourd. Le blocage de l'aide est une arme éculée. Bloquer l'aide à l'éducation ou à la santé d'un pays comme Haïti est un acte criminel.

A.P. : Comment expliquez-vous que le prêtre Jean-Bertrand Aristide incarne aujourd'hui une figure de dictateur corrompu et qu'on le compare à ses tristes prédécesseurs ?

M.M. : Je ne crois pas qu'on puisse parler aujourd'hui de dictature en Haïti. Parlons plutôt de chaos. Dans une dictature comme celle des Duvalier, le dictateur contrôle toutes les forces armées, les milices, les pouvoirs locaux. Aujourd'hui, Aristide et son parti ne contrôlent rien du tout. Le parti qui l'a porté au pouvoir, le Fanmi Lavalas, est extrêmement divisé. Quand Aristide est revenu au pouvoir, en 1994, il n'y a pas eu de véritable désarmement, et le résultat violent est là. Il n'y a pas de censure centralisée, organisée, comme au temps des Duvalier, mais les journalistes qui vont au-delà de la surface de l'info, qui fouillent des thèmes comme la corruption ou la drogue, risquent leur vie.

A.P. : Dans quelles circonstances avez-vous dû quitter Haïti ?

M.M. : Le 25 décembre dernier, en 2002, j'ai été la cible d'une tentative d'assassinat alors que je rentrais chez moi. Mon garde du corps a été abattu. J'ai pensé qu'il suffirait que je ne m'exprime plus au micro de la radio pour que les menaces cessent, mais cela n'a pas suffi. Le 23 février suivant, j'ai réuni la rédaction. D'autres membres de la radio avaient aussi été menacés, certains par des hommes armés, et nous avons donc décidé d'"éteindre" l'émetteur. Radio Haïti est devenu une radio silencieuse. Mais la station n'est pas fermée pour autant. Nous avons maintenu des permanents qui gardent l'équipement, afin d'être prêts à réémettre dès que cela sera possible. La radio existe depuis 1970. Mon mari et moi avons connu la prison, l'exil. Quand nous sommes revenus, en 1986, le studio avait été détruit par la police politique de Duvalier. Nous l'avons reconstruit grâce à la solidarité des Haïtiens. En 1991, après le coup d'État contre Aristide, nous sommes repartis en exil. Nous sommes revenus à Port-au-Prince en 1994. Beaucoup de choses ont changé depuis. Jean était une figure populaire en Haïti, une voix indépendante qui critiquait les dérives du parti au pouvoir.

A.P. : Où en est le procès des assassins de votre mari ?

M.M.. : L'instruction dure depuis trois ans. Elle a été houleuse et sanglante. Un des suspects arrêtés est mort sur une table d'opération alors qu'il n'avait reçu qu'une balle dans les fesses... Un autre a été livré à la foule au moment de son arrestation et lynché. Un autre encore est mort en prison. Des témoins ont disparu. Des mandats d'arrêt n'ont jamais été exécutés. Certaines personnes ont été protégées. Il y a eu des blocages à tous les niveaux de l'État. Le juge chargé de l'enquête est actuellement en exil. Je ne sais pas qui a tué mon mari. Nous avons des pistes qui nous indiquent que des membres du parti au pouvoir sont impliqués.

A.P. : Comment voyez-vous l'avenir ?

M.M. : Il ne suffit pas de renverser Aristide pour que, d'un coup de baguette magique, Haïti se redresse. Il faut secouer ce mythe. Les groupes armés ne vont pas disparaître d'un seul coup ; il y aura une lutte pour le pouvoir qui risque d'être sanglante. Changer l'homme mauvais qui est au pouvoir n'est pas tout. Il faut aussi créer les conditions de la démocratie.


Propos recueillis par Anne Proenza
© Courrier international